Charlotte Delbo

Résistante, déportée et écrivaine française

© Archives privées Dany Delbo
© Archives privées Dany Delbo

Née le 10 août 1913, à Vigneux-sur-Seine, décédée le 1er mars 1985 à Paris, à l’âge de 71 ans.


Le 24 janvier 1943, au petit jour, un train aux wagons plombés quitte la gare de Compiègne. 230 femmes sont parquées dans les derniers wagons. Ce sont toutes des résistantes françaises, quelques gaullistes et beaucoup de militantes communistes, raflées par la police française au printemps 1942. Parmi elles, quelques noms déjà célèbres, Danielle Casanova ou Marie-Claude Vaillant-Couturier, figures du Parti communiste français. Mais également tant d’inconnues… Parmi elles, Charlotte Delbo. Celle qui rapportera leurs paroles.

Charlotte Delbo est née le 10 août 1913, à Vigneux-sur-Seine (Seine-et-Oise) d’une famille d’immigrés italiens. Sténo-dactylo bilingue en anglais, dans le Paris des années 30, elle fait la connaissance d’Henri Lefebvre qui l’introduit auprès d’un groupe de jeunes philosophes qui réfléchissent autour de Georges Politzer et Paul Nizan. A leurs côtés, elle découvre le marxisme et rejoint les Jeunesses Communistes en 1934. Sur les bancs de l’Université ouvrière, elle fait la connaissance de son futur mari, Georges Dudach, fervent militant communiste.

 

À partir de 1937, elle devient la secrétaire de Louis Jouvet, notamment chargée de prendre en sténo et de reconstituer les cours qu’il donne aux étudiants du Conservatoire. En 1940, après l’arrivée des Allemands à Paris, les limites imposées par les occupants deviennent insupportables à Jouvet qui décide d’emmener la troupe de l’Athénée en tournée en Amérique latine. Charlotte Delbo l’accompagne un temps mais, en septembre 1941, elle décide de rentrer en France rejoindre son mari et leurs amis entrés dans la clandestinité. Rattachée au réseau Politzer, Delbo est officiellement chargée de l’écoute de Radio Londres et Radio Moscou, de la dactylographie des tracts et revues.

 

Le 2 mars 1942, ils tombent dans un vaste coup de filet de la police française qui décapite le mouvement intellectuel clandestin du PCF. Le 23 mai 1942, Georges Dudach est fusillé au Mont Valérien. Charlotte Delbo, elle, est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943. De janvier à août 1943, elle voit ses compagnes tomber, les unes après les autres mais survit à l’épidémie de typhus qui les décime. Elle est envoyée dans un camp annexe de Birkenau, Rajsko, puis transférée à Ravensbrück. Elle y restera jusqu’à sa libération par la Croix Rouge Internationale, le 23 avril 1945. Des 230 passagères du Convoi du 24 janvier, seules 49 auront survécu.

De retour à Paris, elle reprend son poste à l’Athénée mais c’est trop tôt pour sa santé abîmée par 27 mois de déportation. En février 1946, elle doit se rendre en Suisse, dans une clinique pour déportées. Là, en six mois, elle se refait une santé et couche sur le papier « Aucun de nous ne reviendra », le premier tome de sa trilogie sur Auschwitz, qui sera publié 20 ans plus tard.

 

Entre 1947 et 1960, Charlotte Delbo vit à Genève où elle travaille comme secrétaire de séance pour l’ONU. Puis elle devient l’assistante de son vieil ami Henri Lefebvre à la faculté de Nanterre jusqu’à sa retraite en 1978.

Entre temps, elle n’aura eu de cesse d’écrire. D’abord pour parler de ses compagnes. Celles qui sont mortes de faim, de froid, de maladie ou sous les coups et celles qui sont revenues et qui font semblant de vivre dans un monde normal. Delbo s’était jurée d’être celle qui témoignerait de l’incroyable sororité qui les unissait. Dans toute son œuvre, en prose ou en vers, elle ne cessera de rendre hommage à leur courage et à leur puissance de vie, à travers sa trilogie « Auschwitz et après » ou « Le convoi du 23 janvier 1943 » (éditions de Minuit) mais également des pièces de théâtre comme « Qui rapportera ces paroles » (théâtre complet aux éditions Fayard). Le reste de son œuvre poétique ou théâtrale aura toujours pour thème la survie devant l’oppression, le témoignage et la puissance de la sororité féminine.

 

Article de Violaine Gelly

Biographe de Charlotte Delbo

 

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À écouter


 

"Au voyage de retour, j'étais avec mes camarades, les survivantes d'entre mes camarades. Elles étaient assises près de moi dans l'avion et à mesure que le temps s'accélérait, elles devenaient diaphanes, de plus en plus diaphanes, perdaient couleur et forme. Tous les liens, toutes les lianes qui nous reliaient les unes aux autres se détendaient déjà. (…) Elles avaient si bien perdu de leur réalité pendant le voyage (…), que je ne me suis pas aperçue tout de suite de leur disparition. Sans doute parce que j'étais aussi transparente, aussi irréelle, aussi fluide qu'elles. Je flottais au milieu de cette foule qui glissait tout autour de moi. Et soudain, je me suis sentie seule, seule au creux d'un vide où l'oxygène manquait, où je cherchais ma respiration, où je suffoquais. (…) Où étaient-elles ?  Où êtes-vous Lulu, Cécile, Viva ? 

Viva, pourquoi l'appeler maintenant ? Viva, où es-tu ? Non, tu n'étais pas dans l'avion avec nous. Si je confonds les mortes et les vivantes, avec lesquelles suis-je, moi ?"

Charlotte Delbo

Mesure de nos jours

 

 


À écouter

Charlotte Delbo, Rien ne doit échapper au langage

Podcast en 2 épisodes 

Entretien avec Violaine Gelly par Anne Monteil-Bauer, …

Textes dits par Hélène Hoohs

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« Certains ont dit que la déportation ne pouvait pas entrer dans la littérature, que c’était trop terrible, que l’on n’avait pas le droit d’y toucher... Dire ça, c’est diminuer la littérature, je crois qu’elle est assez grande pour tout englober. Un écrivain doit écrire sur ce qui le touche. J’y suis allée, pourquoi n’aurais-je pas le droit d’écrire là-dessus ce que j’ai envie d’écrire ? - Il n’y a pas de mots pour le dire. Eh bien ! vous n’avez qu’à en trouver - rien ne doit échapper au langage. »

 

 

Entretien avec Madeleine Chapsal pour L’Express, 1966