Écrivaine et militante française
Née le 13 juillet 1935 à Dannemarie, décédée le 3 janvier 2003 à Tucson (USA), à l’âge de 67 ans.
Écrivaine, féministe et lesbienne radicale, Monique Wittig a 29 ans lorsqu'elle publie L'Opoponax1, couronné par le prix Médicis, accueilli avec enthousiasme par Marguerite Duras, Claude Simon, Mary McCarthy...
Principalement publiée aux Éditions de Minuit, elle appartient à la seconde génération du Nouveau Roman et voue une grande admiration à l'œuvre de son amie Nathalie Sarraute, évoquée notamment dans Le Chantier littéraire 2. Pour Wittig, « le premier élément auquel un écrivain a affaire, c'est le vaste corpus d'œuvres passées et présentes », le deuxième, « c'est le matériau brut, c'est-à-dire le langage »3. Son écriture tend à restituer aux mots leur matérialité, à laisser le sens en suspens au profit d'une polysémie vertigineuse. Elle est aussi, pétrie de textes antérieurs qui surgissent sous forme de citations, d'allusions, de transpositions.
Militante de la toute première heure, Monique Wittig fait partie du premier groupe non-mixte constitué au lendemain de mai 68. Aux côtés de Christiane Rochefort, d'Anne Zelenski, de Christine Delphy…, elle tente de déposer une gerbe pour la femme du soldat inconnu, le 26 août 1970 4. On la retrouve parmi les lesbiennes qui, le 10 mars 1971, perturbent l'émission radiophonique de Ménie Grégoire intitulée « L'homosexualité, ce douloureux problème » et qui, dans la foulée, fondent le FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) . En 1972, elle fait partie des Gouines rouges, premier groupe de lesbiennes à Paris. En 1976, fatiguée par les tensions au sein du mouvement des femmes5, elle quitte la France pour les États Unis avec sa compagne américaine Sande Zeig - elles travailleront ensemble pour Le Brouillon pour un dictionnaire des amantes6, la pièce de théâtre Le Voyage sans fin7 et le film The Girl8.
Dès lors, la réflexion théorique de Wittig se déploie autant en anglais qu'en français. Féministe matérialiste, elle dénonce le mythe de la-femme et vise l'éradication de la différenciation sexuelle. En 1979 et 1980, elle publie deux articles essentiels « La Pensée straight » et « On ne naît pas femme » dans les revues Feminist Issues et Questions féministes. Elle y démontre que l'hétérosexualité est un « régime politique »9, un « système social basé sur l'oppression et l'appropriation des femmes par les hommes et qui produit le corps de doctrines sur la différence entre les sexes pour justifier cette oppression »10.
Elle affirme que l'existence de sociétés lesbiennes mine ces concepts straights, que « la-femme n'a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels » et que, par conséquent, « les lesbiennes ne sont pas des femmes. » 11
Poésie et politique, lesbianisme et littérature sont indissociables chez Wittig : « Je suis une femme qui écrit des femmes et pour les femmes. C'est le même acte, je ne peux pas dissocier les deux termes »12.
Dans Le Corps lesbien, elle donne violemment forme à la passion charnelle lesbienne, elle travaille, façonne la langue et le texte jusqu'à faire advenir « ce qui n'a pas de nom pour l'heure »13, un érotisme des femmes entre elles aussi éloigné des mièvreries saphiques que des trivialités de la pornographie. Convaincue que la littérature est « le champ (de bataille) privilégié » pour la constitution du sujet, Wittig cherche « à rendre universel [son] point de vue minoritaire ». Elle malmène le genre grammatical, « indice linguistique de l'opposition politique entre les sexes »14, en employant le pronom neutre on dans cette sorte d'autobiographie d'enfance qu'est L'Opoponax, et le féminin pluriel, le collectif anonyme elles, dans les Guérillères15. À travers les nombreux emprunts aux auteurs anciens et la pratique de la citation, elle transforme Les Guérillères en épopée féministe, Le Corps lesbien, en Évangile selon Sappho et se lance sur les pas de Dante dans Virgile non 16....
Catherine Écarnot
Catherine Écarnot a soutenu la première thèse en Europe
consacrée à l'œuvre wittigienne. Elle est l'autrice de nombreux articles sur Wittig et de l'Écriture de Wittig. À la couleur de Sappho dont une nouvelle version est parue en avril 2023 aux éditions iXe.
1- Wittig Monique, L’Opoponax. Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double Minuit », 2018 [1964]
2- Wittig Monique, Le Chantier littéraire, Donnemarie-Dontilly & Lyon, Éditions iXe & PUL, , 2010 [1986 pour la rédaction].
3 -Wittig Monique , « Le Cheval de Troie » [1985], La Pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2018 p.125
4- PICQ Françoise, Les Années-Mouvement; Libération des femmes Paris, Seuil, 1993, p.12 et 17.
5 -Voir Éloit Ilana, « Monique Wittig n'était pas une femme »2022, La Déferlante n°2, p.62-5
6 -Wittig Monique et Zeig Sande, Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Paris, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », 2018 [1976].
7 - Wittig Monique, Le voyage sans fin. Paris, Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 2022 [1985].
8- Scénario Wittig Monique, réalisation Zeig Sande, The Girl ,1999.
9 - Wittig Monique, introduction à La Pensée straight, Editions Amsterdam, Paris, 2018 p.13
10 - Wittig Monique, « On ne naît pas femme » [1980], La Pensée straight, Editions Amsterdam, Paris, 2018, p.65
11 - Wittig Monique, « La Pensée straight » [1980], La Pensée straight, Éditions Amsterdam, Paris, 2018, p.77
12 - « Monique Wittig et les lesbiennes barbues », Actuel, novembre 1974, Paris, p.12
13- Wittig Monique 2023 [1973]. Le Corps lesbien. Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double Minuit », p.7
14 - Wittig Monique « Le Point de vue, universel ou particulier» dans La Pensée straight, Amsterdam, p.114
15 - Wittig Monique, Les Guérillères. Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double Minuit », 2019 [1969].
16 - Wittig Monique, Virgile, non. Paris, Éditions de Minuit, 1985. œuvre
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ELLES AFFIRMENT TRIOMPHANT QUE
TOUT GESTE EST RENVERSEMENT.
Les Guérillères (1969)
Monique Wittig